J'avais rencontré via les blogs, il y a 20 ans, un grand type gentil, qui aimait bien les trucs liés à la lecture, la musique, la photo, et quelques autres choses du même acabit. On était très copains et son goût pour la culture me permettait de combler le peu d'intérêt pour la chose du père de Cro-Mi (à part la musique, que nous avions en commun depuis toujours, mais avec une sorte de marquage de territoire qui me laissait un peu de côté).

Du coup, bien évidemment, mon compagnon de l'époque l'a pris en grippe et a tenté plusieurs fois des chantages à base de "lui ou moi", à un moment où pas la moindre pensée coupable n'était à blâmer.

Il m'a quittée pour d'autres raisons, et le grand type gentil (appelons-le "Slip en Kevlar") s'est rapproché. Au point que j'ai fini par lui trouver bien du charme.

J'ai toujours, jusqu'à lui, assumé mes désirs et mes sentiments, et parfois même les deux à la fois. Alors je lui ai écrit une longue déclaration. A laquelle il m'a écrit une très longue réponse à base de "merci mais non merci".

Ca n'était pas tout à fait mon premier refus et on aurait tout à fait pu reprendre là où on s'était interrompus notre chemin de camaraderie. Sauf que bon camarade, il l'a été un peu trop. Pas assez mais trop.

J'ai donc passé une petite année à disséquer ses faits, mots et gestes en me demandant si c'était non mais ou peut-être. Lui ne voyait pas le problème.

A chaque fois que j'ai remis le sujet sur le tapis en tentant de lui faire comprendre que lui n'y voyait peut-être pas de mal, mais que moi, il me gardait dans une sorte d'attente / espoir très inconfortable, il ne voyait pas en quoi c'était à lui de faire gaffe à moi. Mais il ne voyait pas non plus pourquoi je pourrais, alors, ne plus vouloir le voir, pour me mettre à l'abri de cette douleur inutile.

Chaque fois qu'on a eu à en discuter, même si ça n'est pas comme ça qu'il a dit les choses et que telle n'était pas du tout son intention, j'ai vécu le truc comme un éclat de rire sardonique qui me dirait "enfin ma pauvre filles, pourquoi aurais-je eu l'idée saugrenue de changer d'avis pour toi".

Je suis vraiment certaine qu'il n'avait pas l'intention de me blesser, mais il a miné avec détermination ce que je pouvais avoir (pas lourd) de confiance en moi en ce qui concerne les rapports amoureux.

Il y a tout de même un moment où j'ai réussi à prendre le dessus et mes distances. Figurez-vous qu'il s'est dit attristé parce qu'il ressentait des "piques" dans mes messages. Pauvre chaton.

Je crois qu'au fond, c'était sa façon à lui de ne pas faire face à des trucs bien planqués au fond de son placard. Tant pis pour moi, j'aurais pas dû, remuer des sujets qu'il ne faut pas approcher, sans doute. Mon foutu besoin de comprendre quand parfois, y a rien à comprendre.

J'étais tellement en rogne que, quand le père de Lomalarchovitch s'est trouvé sur ma route, j'ai dû l'entreprendre comme une amazone ou presque, comme pour me prouver à moi-même que je pouvais. Merci la colère de m'avoir offert Lomalarchovitch en conséquence indirecte. Pour le reste, on en reparlera. Ou pas.

Slip en Kevlar ne m'a pas donné de signe de vie depuis 13 ans. Il m'avait écrit, une fois, sur la fin, qu'il voyait nos vies comme deux trajectoires qui cheminent un moment côte à côte et s'éloigneront lentement. Il a fait exactement ce qu'il a écrit. Et croyez bien que je n'en ai aucune nostalgie. Celles et ceux qui savent à quel point je ne suis pas rancunière mesureront à quel point le fait que je suis ravie de ne pas le voir ressurgir est une anomalie dans mon rapport aux gens.

Car voilà. Je pensais qu'on en était là. Un type m'a fait tourner en bourrique pendant une année, j'ai souffert, je m'en suis remise, suite de l'histoire.

Sauf que des bribes de douleurs de l'époque, que je croyais guéries depuis longtemps, ont ressurgi récemment. Je déteste ce mec de m'avoir fait sentir comme une merde. Je veux dire : rien qu'avec quelques personnes dans ma famille, j'avais de quoi faire, pourquoi venir creuser plus profond, connard ? Mais quand même, des "non", j'en ai eu quelques-uns, j'ai pleuré beaucoup, souffert au moins autant, et j'ai continué ma vie vaillamment quand même. Lui a eu un impact destructeur sur moi que personne d'autre n'a jamais eu.

Donc, non je n'ai pas retrouvé mon audace à dire aux garçons qu'ils me plaisent. Oui, l'idée même qu'on puisse me dire "non mais je ne t'aime pas comme ça" avec le renvoi à tous ces moments où je me hurlais dans la tête "mais pauvre fille, évidemment qu'il ne veut pas de toi, regarde toi, écoute toi, rends-toi à la raison".

J'ai bossé, pour reprendre le dessus.

Je suis en pétard de ce retour en arrière mais lucide : ça n'est pas une maladie mortelle, c'est un truc entre moi et moi, et je ne suis pas une pauvre chose fragile qui se laisse malmener pour un rien.

Ca ira. Je m'en occupe.

Mais là, tout de suite, quand je vous dis : "non je ne peux pas" (poser cette question, avoir cette conversation, rendre un geste sans savoir ce qu'il va déclencher), c'est vrai. J'ai le ventre noué et les larmes qui coulent à l'idée de faire face à nouveau à cette auto-détestation ravageuse.

(Et oui, en fait j'avais des trucs un peu drôles à écrire et c'est ça qui est sorti à la place. Voilà. On rira la prochaine fois)