Un petit morceau de conversation matinale récente m'emmène sur le sujet des rituels.

C'est quelque chose que j'ai aimé à la folie, ces moments où, dans une relation amoureuse, on créé ces rituels. J'en ai eu l'intense conscience avec les pères de mes enfants, en me disant que c'était un sentiment de bonheur qui allait durer à chaque répétition (est-elle naïve !). A chaque fois que le rituel se produit, la mémoire de la première fois, du bonheur à donner quelque chose à l'autre ou de recevoir de lui, cet acte, aussi infime soit-il, qui dit qu'on s'aime et qu'on a envie de s'aimer longtemps.

Aujourd'hui je regarde ça avec, disons-le nettement, de l'amertume.

Il y a un instant que je n'ai pas su voir, dans une histoire comme dans l'autre, un moment où le rituel avait basculé. L'acte d'amour a disparu au profit d'une habitude. Ou bien où il s'est tourné dans quelque chose de très emprisonnant. Le plaisir a disparu, la contrainte est restée.

Quand le geste se vide de son sens, il devient l'inverse de ce qu'il a été pour moi, sans doute. Réflexe, caution froide, l'inverse de l'amour.

Pour moi, ça a commencé par être un agacement. De ces gestes "sanctifiés", ce qui m'a sauté aux yeux c'est le côté immuable, mais en mal. Est-ce qu'on ne peut pas vivre autrement qu'en faisant la même chose, au millimètre près, sans cesse ? (Mais est-ce que c'est juste de ma part d'espérer que quelqu'un soit assez fort pour concilier le rituel-geste-d-amour avec un rien de surprise dedans ?)

"Je crois que je suis impossible à vivre", me vient à l'esprit en écrivant ces mots. Enfin pas moi, moi, hein. J'aime rire et mettre de la légèreté dans le quotidien, je suis la reine pour trouver la façon la plus paresseuse d'arriver au résultat le plus agréable sur un tas de sujets. Je suis, généralement, de bonne compagnie, je crois. Mais j'ai des espoirs pour la vie amoureuse qui sont sans doute trop lourds pour des histoires humaines.[1]

Bref, l'agacement, puis le constat que mon cœur ne loupe plus un battement, voire, s'ennuie. Et si tout va mal, un rappel de la douleur, de l'inconfort à se trouver dans le même espace que cette personne.

Je veux dire : mon ex et actuellement coloc continue à religieusement me faire mon petit déjeuner, voire à me l'apporter au lit les jours non travaillés. Certains vont trouver ça gentil. Moi j'y vois une posture de résistance : tant qu'on fait comme avant alors on peut prétendre qu'il ne s'est rien passé. Ca me bouffe, ça me rend dingue.

J'ai peu de rituels avec moi-même et quand j'y songe : ils sont toujours un peu différents (le café sur le toit n'est jamais tout à fait pareil, le ciel change constamment. Le bain-bouquin varie forcément en fonction du contenu du bouquin).

Peut-être que je suis toute seule sur la planète. Heureuse pour celles et ceux qui arrivent à ce truc un peu fou qui consiste à ne pas s'user. A ne pas trop s'habituer. A se donner assez d'air pour pouvoir toujours en partager avec l'autre.

Et je sais que les amis qui passeront par là vont me dire "mais non, Jeff, t'es pas toute seule, et quand tu t'y attendras le moins, etc".

Merci à vous de le penser.

Je me connais. Je sais aussi que le jour où j'aurai envie qu'un type s'approche de suffisamment près pour qu'on ait envie d'inaugurer des rituels, j'en serai à nouveau intensément heureuse. Jusqu'à ce que je me rende compte qu'à vouloir lui faire plaisir, je me suis effacée, oubliée. Qu'il ne me fait plus du tout rire ou rêver. Et que sa façon de faire toujours exactement la même tête en faisant quelque chose que j'aimais et qui maintenant m'exaspère me donne des envies pas très charitables. Sauf s'il arrive à y mettre le truc qui fait que c'est toujours similaire et jamais pareil. Ou peut-être que contrairement à ce que j'ai longtemps cru, je ne suis pas faite pour vivre en permanence avec quelqu'un.

Je crois que c'est un truc que je peux arriver à faire pas trop mal, dans l'enthousiasme des émois amoureux, être à la fois rassurante et surprenante (ou peut-être pas, peut-être que je m'illusionne complètement). Je n'ai pas trouvé celui qui saura l'être pour moi. C'est comme ça. Ca me rend triste, mais c'est comme ça.

Note

[1] Il paraît qu'il faut renoncer à tout avoir avec la même personne, m'a-t-on dit récemment, sans doute très sagement. Mais hey. Suis-je sage ? Pas vraiment, c'est bien là le problème.