Quand il m'est devenu tout à fait certain que l'histoire que je vivais ne pouvait plus que me noyer, je croyais que j'avais espéré, toute ma vie, quelque chose de l'amour qui, en fait, n'existait pas. Quelque chose que j'aurais fabriqué à partir de héros imaginaires et d'émotions à fleur de peau, mais qui n'avait aucun sens pour qui que ce soit d'autre.
Et puis mon univers a croisé la route d'un autre et nous nous sommes entremêlés.
En silence, sans secousse perceptible par le reste du monde, et pourtant, pour moi, c'était comme si les deux morceaux d'une construction monumentale se mettaient en place, parfaitement.
Ça n'était pas un crush, pas un béguin, pas un coup de coeur, c'était comme si deux âmes s'enroulaient l'une dans l'autre et se concentraient en un point infinitésimal mais tellement puissant, qui serait l'essence de l'amour ; comme si chacun d'entre nous se déployait à l'infini sans jamais se disjoindre et cette immensité serait, elle aussi, la nature profonde de l'amour.
C'était exactement ça que j'avais eu envie de ressentir ; exactement la personne pour qui j'avais rêvé de le ressentir. Ses défauts et les miens autant que tout le reste.
Et inaccessible.
Je ne vous parle même pas de ce qu'il pourrait ressentir, lui, juste la vie. Un jour, j'ai dit à ma mère "les mecs de mon âge sont vieux". Elle m'a répondu, sans rien savoir de ce que je pensais, sentais : "pas tous". Comme si elle avait compris quelque chose que je ne lui avais jamais dit. Mais les mecs de mon âge sont généralement heureux avec des chouettes épouses ; quand ils ne le sont pas, il y a probablement de bonnes raisons à ça.
Bref, celui-ci est heureux depuis bien avant moi dans sa vie ; c'est bien tout ce que je lui souhaite, moi, d'être heureux.
Pour autant, j'existe, dans son univers, mais je ne sais, formellement, pas comment : cet univers élargi est construit sur un milliard de mots et encore plus de non-dits. Alors, par convention intérieure, parce que j'ai appris avec lui l'amour qui n'attend pas de réponse, quand je parle de lui je considère qu'il ne vit pas la même chose que moi.
Je ne saurai jamais, probablement.
Depuis que cet univers est entré en contact avec le mien, de nombreuses choses se sont mélangées, des planètes ont inventé une façon d'entrer en orbite les unes des autres. Je me suis liée à lui inextricablement. Je me suis aussi regardée en face et j'ai dit "ok", presque inconditionnellement, à qui j'étais.
Il a tant infiltré tout ce qui m'est important et qui l'est pour lui aussi que, même si je décidais de faire demi-tour et reprendre ma route, il me serait impossible de revenir à mon état antérieur. Des parts essentielles de moi sont liées irrévocablement à des souvenirs de lui.
Alors bien sûr, je pourrais arrêter de lire, d'écouter de la musique, de voir des films, autant cesser de respirer...
J'en aurais pour une vie à ne pas réussir à l'oublier.
Alors je prends ce qui est merveilleux et libre et indescriptible de partage de compréhension et je traverse, parfois, des moments douloureux, ceux où je n'ai pas dit clairement et où il n'a pas deviné. Je pose le bout de mes doigts sur ce fil qui nous relie en continu et m'apaise à sa douce vibration : je n'ai pas rêvé de ce qui n'existait pas, je le ressens, là, maintenant, et j'ai une chance folle de connaître ça.
Et aussi la malchance de ne pas vivre l'organique, le désir partagé, le goût et l'odeur de nos peaux, la présence du corps de l'autre tout près. Aussi confiante que je sois en l'idée que ça serait un truc dont on se tirerait pas trop mal, l'humanité de l'autre, il ne m'est pas donné de le vérifier.
L'autre jour, un mec qui me déclare régulièrement sa flamme depuis longtemps me disait : "c'est terrifiant, de se laisser regarder par toi, on a nulle part où se planquer". Je lui ai répondu que c'était probablement la raison pour laquelle on ne partagerait pas d'histoire d'amour, lui et moi : si on éprouve le besoin de se planquer du regard de l'autre, de ne lui montrer que ce qu'on trouve beau, alors c'est autre chose que de l'amour, en tout cas dans ma façon de voir les choses.
Je n'ai pas peur de lui montrer qui je suis en entier.
Je n'ai pas peur d'avoir mal de ne pas vivre tout ce que j'aimerais vivre.
Parfois roulée en boule, parfois debout, à jamais connectée à lui, quoi qu'il advienne.
La plupart des gens ne comprennent même pas. J'ai cessé d'argumenter, d'essayer de convaincre que j'allais bien, au moins la plupart du temps, qu'il ne me fait pas de mal, au contraire. Je crois qu'on attend tous des choses différentes de l'amour, qu'on le définit tous à notre façon. Que peu comprennent ce qui me nourrit comme je comprends mal comment on peut vivre sans avoir connu ça.
Foutue dès le départ, en somme. Mais incomplète tant que je ne l'avais pas vécue, cette histoire. Bouleversante, bancale, lumineuse, et tenace.
Ouais… Quelqu’un à qui on peut tout montrer ou presque, et qui accepte éventuellement de ne pas tout voir…
Orpheus ou qui voit mais ne peut ou ne veut rien en faire. Je ne crois pas que ça marche de forcer les gens à faire comme nous, on préférerait, hélas. 😇
Ce texte est très beau.
Oui, voilà.
En fait, le partenaire idéal serait celui avec qui on peut arrêter de se ronger les neurones avec ce genre de questions...
Alana merci.
Orpheus mais il n'y a pas de question. Pas de partenaire (enfin pas moi comme partenaire). Ça arrive, qu'on aime sans retour et pour autant on ne s'arrête pas d'aimer comme on éteindrait la lumière.