"Tout ça pour dire que Huff s'était déjà suffisamment marié par le passé pour savoir à quoi s'attendre, et pour savoir qu'une personne qui, à un moment donné, semblait magique ou fascinante, comme l'incarnation de la réponse à toutes vos prières et à tous vos problèmes, pouvait, vingt minutes, deux semaines, trois mois ou un an plus tard, devenir d'un coup d'un seul un être complètement différent. La magie disparaissait, les femmes se lassaient ou devenaient lassantes, et elles ne s'intéressaient plus qu'à vos nombreux défauts[1]."

Je me suis beaucoup posé la question de savoir si j'étais incompétente à gérer ce moment, dans une relation, où l'émerveillement des débuts fait place à la triste ? réalité. Si j'étais incapable d'amour pour la vraie personne à mes côtés, si je ne pouvais vivre heureuse que dans une sorte de rêve amoureux peu compatible avec le quotidien.

Bon. J'ai passé dix ans avec l'un, douze avec l'autre, on peut raisonnablement penser que : pas complètement.

Alors quoi ? Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? ("Tes ex", rigolent mes copines entassées au fond de la salle !)

A vrai dire, à l'âge où mes amies-sœurs me suggèrent qu'on ne peut pas tout trouver chez un seul homme, je n'arrive pas à me résoudre. Non pas qu'ils aient besoin de posséder toutes les qualités et aucun défaut. Mais oui, j'ai quand même envie de croire que ça existe pour quelques-uns et quelques-unes, que l'autre soit la réponse à toutes leurs prières et tous leurs problèmes.

Il n'est pas question d'attendre de l'autre un truc qu'il ne peut pas donner, que les choses soient claires. Mais que sa personnalité soit celle qui répond à la vôtre, que sa vue vous émerveille[2]. Que sa façon de penser, de vous toucher, de vous aimer, vous comble.

Pardon mais c'est quand même la base de toute la littérature et d'une bonne partie du cinéma, non ? J'en demande trop, vraiment ?

On parlait de nos vies avec Cougarillon, l'autre jour, en déjeunant au soleil, et il a mis le doigt sur quelque chose que je n'arrivais pas à nommer. Cette chose un peu magique qui fait que, dès la rencontre, le regard de l'autre allume une étincelle en nous, qui ne brille pas pour tout le monde. Quand avec l'autre on se sent libre d'être soi, mais avec cette petite énergie supplémentaire qu'on ne met pas dans toute nos relations. Quand mutuellement, on a un peu envie de s'épater un peu plus que pour une personne lambda.

Je crois que, en dehors du fait de ne pas avoir réussi à trouver cette triple attirance chez les hommes que j'ai rencontrés, assez pour se lancer à l'aventure avec deux d'entre eux mais pas assez pour que nos histoires soient assez solides pour une vie entière, il y a ça.

J'avais appris, après les paillettes dans les yeux, la frénésie copulatoire et les premiers aveux, à les aimer, comme ils étaient. Suffisamment pour faire un enfant à chacun d'entre eux.

Mais quand l'envie d'être pour l'autre cette étincelle qui donne envie de pétiller soi-même disparaît, là, oui, c'est le début de la fin, pour moi. Si son énergie conjuguée à la mienne ne donne pas un truc meilleur que chacun de nous deux seul, bof. Cette sorte de bulle qui me rend aveugle à d'autres tentations, même pas en y songeant, vraiment, aveugle, fond. L'amour, pareil. Ca peut prendre des années parce que c'est un constat auquel on a peu envie de se résoudre, en général. Ou même pour certain(e)s : qu'on ignore, parce qu'on a pas envie de renoncer à des rêves, des idéaux, des souvenirs. Ou plus prosaïquement, que l'univers est sauvage et qu'on a pas envie de s'y retrouver avec moins de thunes. Ou qu'on a peur d'être seul(e). Ou juste pas très envie. Si vous saviez le nombre de gens qui m'ont dit "vous aviez l'air si amoureux", quand je leur ai annoncé notre séparation. L'illusion du bonheur est très facile à créer, au point d'y croire même quand on la créé. Bref, il y a multitude de gens qui vivent très bien en ignorant cette perte, je crois. Et une toute petite poignée d'heureux veinards qui ont trouvé quelque chose que le reste du monde espère.

Alors voilà, finalement, j'en arrive là : je crois que j'ai besoin de cette espèce d'admiration de la magie de l'autre pour l'aimer durablement. Attention, j'ai l'admiration moqueuse, pas très respectueuse des conventions, en général, et pas franchement paralysante. Ou alors pas longtemps ! Mais oui, quand "il" cesse de vouloir me faire faire des petits "waouh" intérieurs, même empêtrés dans le quotidien, les habitudes, l'usure, je m'éteins, peu à peu.

J'attends le concert des protestations. Je ne suis pas réaliste. Et ben vous savez quoi ? C'est pas grave, protestez.

Je crois que l'amour nous tombe dessus complètement par hasard, qu'on l'attende ou pas, qu'on le cherche ou pas, qu'on le rêve petit ou grand (l'amour, pas le mec). Qu'il dure quelques heures ou des décennies.

Et que quitte à le rêver, autant le faire comme on l'espère et pas comme il est raisonnable de le faire. La raison nous rattrape toujours bien assez tôt.

Notes

[1] Lu dans le fou délicieux "Une nuit d'été" de Chris Adrian. Ne croyez pas les critiques négatives ou mitigées, c'est un petit bijou, hommage vibrant, organique, fou, qui vous nourrit l'envie d'être vivant comme un charme

[2] Encore une fois, j'ai bossé avec une jeune femme qui trouvait que Michel Blanc et Dino, de Shirley et Dino, étaient ses idéaux de beauté, donc vraiment, l'émerveillement naît de choses parfois pas très conventionnelles