Je suis le fruit d'un mariage "enviable", qui fait pousser des "Ah !" émerveillés quand on en parle. Mes parents sont ensemble depuis 55 ans (et demi) et mariés depuis 51.

Waouh, dirait-on si on manquait de mots face à cette longévité.

Sauf que, même sans connaître tous les secrets des coulisses, j'en sais assez pour percevoir de grands renoncements, des immenses incompréhensions, avoir été au courant de coups de canif dans le contrat, entendu des trucs qui grincent (on s'habitue à tout, paraît-il, y compris aux grincements).

Vous allez rire mais je viens de me rendre compte que ça n'était pas ça dont je voulais. Je ne parle pas de longévité, bien sûr (encore qu'on peut prendre sans risque le pari que je ne vivrai jamais avec quelqu'un pendant 55 ans), mais de ces morceaux de soi qu'on étouffe, qu'on écrase, auxquels on renonce, au nom de l'union avec l'autre.

Je sais bien que derrière toute relation longue, il y a des concessions, notez bien. J'en ai même fait quelques-unes ; je suis au courant. Là, je parle de choses qui touchent à qui on est profondément et qu'on laisse se dissoudre pour toujours au nom d'un couple durable.

Je ne sais pas pour chacune des parties en présence ce que ça a pesé, ça ne me regarde pas. Visiblement pas assez pour les séparer, et c'est tant mieux pour eux. Je crois bien, en revanche, que ça a joué dans ma vie, instinct de survie ou trop gros égo, vous trancherez pour moi, ce rôle de "je ne peux pas continuer à t'aimer si tu me fais renoncer à ce morceau qui m'est essentiel".

Bon. On se donne les raisons qu'on peut, c'est mon chemin, c'est tout. Au fond, je m'en fous de combien de temps. c'est comment mon cœur a battu qui m'importe le plus.

Et là, maintenant qu'on a réglé la question de "pour la vie", de quoi ai-je envie ?

Aucune idée.

Enfin si, j'ai envie d'aimer, d'être aimée, de préférence réciproquement. De s'offrir mutuellement cet espace d'émerveillement qui nourrit chacun. Donner sans diminuer. Mais de la même façon que j'adore la vie lente, les pieds nus dans l'herbe et les heures à regarder le ciel et les nuages, tout en ne sachant pas vivre loin de la ville, d'une séance de ciné quand je veux, des transports en commun, je ne sais pas si une liste de mes envies serait compatible avec la vie qui me va bien, en ce moment.

Je ne sais pas s'il est né, le mec qui me fera courir vers lui ET qui m'offrira autre chose qu'une valse d'hippopotame[1]. Et s'il n'est pas né on va avoir un sacré problème de différence d'âge, quand même.

Et puis les mecs de mon âge, ils sont vieux, les biens sont mariés / en couple depuis toujours (les pas bien aussi, d'ailleurs), ceux qui ne le sont pas, on tend à se dire qu'il y a une raison à cela. Ok, il y a ceux qui divorcent, mais bon. Est-ce que c'est plus confortable d'être comparée à Bobonne Première que de lui emprunter son mec occasionnellement ? C'est mieux admis socialement, en tout cas.

Voilà.

Pas très avancée, la meuf. Ca serait si simple si on pouvait couper la machine à rêver, surtout quand elle est romanesque comme la mienne.

"Prove me wrong, my love".

Ca serait plus chiant, aussi.

Note

[1] Et on sait que les hippopotames, il y a toujours un moment où ils vous marchent sur le pied, ou bien il s'arrêtent brutalement de danser. C'est dommage, ils sont beaux, ils sont parfois assez convaincants pour qu'on se prenne à rêver. Mais bon, vous savez ce que ça fait un hippopotame ? Ca ventile son caca avec sa queue. Faites ce que vous voulez de cette information et tirez-en les conclusions qui s'imposent.