Pourquoi on passe tant de temps à se créer une bulle de bonheur, d'amour dans la vie ? Parce que dès qu'on ouvre les yeux sur le réel, on le découvre au bord de l'insupportable ? Parce que même quand tout va bien, nous sommes des "accidents waiting to happen" et que chaque signe de joie nous sert de patte de lapin porte-bonheur pour tenter d'esquiver l'inéluctable ?
Souvent, je me dis que je suis trop compliquée. Je ne crois pas que, sans chercher très loin, juste après avoir passé la frontière de mes amies, la plupart des meufs se prennent la tête avec des questions pareilles.
Je regarde les jeunes trentenaires, ou à peine, avec lesquelles notre équipe a le plus souvent à faire. Elles sont ravies d'accomplir chaque rite de passage tel qu'il leur est proposé par "la vie". La société qu'on a construite. Aucun remords à traverser le monde pour aller faire chier des animaux sauvages à l'autre bout du monde (et je crèverais d'envie de les voir d'un peu près, si je suis honnête, c'est juste que ça fait trop de valeurs à contrarier pour que ça soit simple. Mais l'un de mes souvenirs les plus puissants c'est d'avoir vu une baleine à quelques mètres, centimètres, même, si on considère qu'elle était sous nous à cet instant. C'est juste la conscience d'altérer ses conditions de vie, qui m'étouffe, et puis les thunes, aussi, un peu).
Elles n'ont pas l'air d'avoir de discussions intérieures enragées sur le couple aliénant. C'est normal pour elle de choisir un mec de leur milieu, avec de bons revenus et des métiers présentables dans les conversations sociales. Bien sûr, elles les aiment (qu'est-ce que ça veut dire, aimer, au fond ? Un truc qui appelle un retour d'égo qui nous fait du bien ? Un attachement singulier qui se vit dans le silence ? Un besoin du corps qu'on habille en élan du coeur ? Tout ça ? Rien de ça ?). Ils sont mignons, ils "aident" à la maison, elles accepteront volontiers ce rôle de vestale responsable de tout le bien-être familial parce que "c'est comme ça". Sur un mode 2024 vaguement féministe rose pailleté, mais quand même.
Elles sont ravies quand leur mec leur offre des fleurs (encore plus quand ils leur font livrer au bureau). Elles tombent de leur chaise quand je leur dis que je n'aime pas qu'on tue une plante pour mon seul bénéfice et que je les préfère vivantes, dans un environnement qui leur convient. Oui je suis capable d'attendre indéfiniment qu'une orchidée refleurisse, tant que je la vois en vie, non je ne les jetterai pas comme un emballage de jambon.[1].
Elles s'émerveillent devant le prix ou la valeur des cadeaux ou restaus offerts, comme un gage de leur valeur à elles. Moi, si un mec me plaît, il peut m'emmener regarder le vent dans les arbres ou l'eau qui bouge, ce qui m'importe c'est le moment partagé. Même si j'aime manger de très bonnes choses et que j'ai des goûts de luxe. Mais c'est mon paradoxe à gérer, on en parlera un autre jour. Et à la fin ce sont elles qui gagnent : elles passent de jolies vies, elles auront des enfants jolis, des instas pleins de photos idéales (les miennes ne sont jamais droites). Moi... bon, vous me connaissez, pas besoin de vous décrire mon besoin obsessionnel de comprendre, de trouver le sens, de combattre l'injuste.
Est-ce que c'est moi qui rêve trop fort pour supporter ce monde trop moche. Enfin moche. Une partie des humains qui le peuplent le rendent hideux, pour le reste, ma foi, il est plutôt beau, le monde. Mais quand même ils prennent de l'espace, ces quelques humains. Est-ce elles qui sont endormies par une vision partagée par l'immense majorité, qui n'ont aucun problème à se conformer à ce qu'on attend d'elle ? A quoi ça sert, au fond, que j'ai tant de mal à faire pareil ? A qui ça rend service ?
Ca sert à quoi, tout ça ?
Note
[1] En revanche j'ai très envie d'une monstera, ces temps-ci, et aussi d'un oiseau de paradis, oui, c'est une plante et non, ça n'est pas un nom de code pour désigner un pénis, encore que dans le genre kitschouille, ça pourrait, mais non. Enfin si un pénis se présente avec un chouette mec attaché à et qu'il y tient vraiment, je peux l'appeler oiseau de paradis, s'il le mérite, hein.
La différence est là je pense : il y a les gens qui aiment l’autre pour ce qu’ils/elles sont, et ceux qui aiment l’autre parce que leur relation peut être instagrammable…
Sinon, juste pour dire que le mec dont le penis ressemblerait à une fleur d’oiseau de paradis doit consulter de toute urgence.
Je ne sais pas si ce genre de symptômes est contagieux, alors dans le doute, vaut mieux s’en tenir à l’écart.
Orpheus en plus je ne dois pas pouvoir tenir plus de 20 secondes de dirty talk à base d'oiseau de paradis sans exploser de rire. Et encore.
J'en ai un, d'oiseau de paradis, dans le jardin, pas fleuri cette année ; je parle de la plante, pas du mec :-p
Et ouais, j'rigole tout seul, kesstuvafaire :-D
PS : Je fais aussi des photos penchées, pas ma faute, c'est la planète qui tourne trop vite pour moi ;-)
Franck j'ai tellement de moments de solitude quand personne ne rigole à mes conneries que je ne vais surtout pas t'en empêcher !
Ah mais si toi aussi ! Je suis rassurée.
Je soupçonne que sous la façade lisse de beaucoup se cache une tête aussi pleine de nœuds que la tienne ou la mienne. Ça ne se manifeste pas de la même manière, mais je crois que c'est là tout de même.
Anna ah mais je ne dis pas qu'elles sont simplettes et qu'elles ne ruminent pas, mais pour parler souvent avec elle, il y a un nombre important de sujets sur lesquelles elles me regardent les yeux grands ouverts et trouvent que je me prends la tête pour rien (l'autonomie financière des femmes, le fait de prendre pour acquises "c'est comme ça qu'on fait" un certain nombre de choses, le fait de s'appliquer au moins un peu et agir en conséquence ce que nous dictent nos valeurs etc).
L'inverse est moins vrai.
Honnêtement, je suis la seule personne au bureau à ne quasi jamais prendre l'avion, par exemple. "Bah comment on part en vacances, sinon ?"
Ce genre de choses.
Je sens moi aussi un énorme décalage avec mes jeunes collègues. Elles ont connu leurs mecs très jeunes et bien souvent ont choisi des études courtes pour très vite s'installer et avoir des enfants. Elles ont l'air heureuses et epanouies mais surtout je ne les sens pas dans le questionnement du sens de la vie, de l'accomplissement personnel. Ça m'interroge, étions-nous une génération de dégénérées ?
Je fais, bien sûr, une généralité et ce n'est pas le cas de toutes mes collègues mais la grande majorité quand même.
NP je dois dire que dans ma réflexion, j'ai inclus la possibilité d'être une vieille conne. Mais du coup j'ai commencé très jeune (et : je connais plein de gens de mon âge qui sont dans le même genre, mais avec 20 ans de plus).
Pas de réponse certaine.
Ta première richesse est ton humour (et ça ne s'achète pas); quand à l'auto-dérision, pas avec tout le monde (les cons ne comprennent pas). Vivre avec simplicité est le vrai luxe.
C'est gentil, merci, Nina, en fait je me demandais à quoi ça me servait d'avoir autant de questions en boucle en permanence, c'était pas une question de savoir qui fait mieux, mais de toute façon je ne sais pas si on peut "débrancher" ça.
Les questions en boucle ? On ne débranche pas (je connais). Je fuis, ce qui n'est pas ce qu'on fait de mieux :))
Si j'avais su, Nina j'aurais fait fortune comme hamster qui tourne dans sa roue, voilà.