Je suis en train de lire (avec délices) "La cité aux murs incertains"[1]. Il se trouve que Haruki Murakami me fait souvent me demander comment il fait. Dans le cas de ce livre précis, il raconte une histoire qui est très loin d'être la même que la mienne, mais qui présente quelques points de ressemblance. Alors je me demande comment il fait pour savoir.
Il répond de jolie façon à une question qu'on m'a beaucoup posée, ces derniers mois. Ou en tout cas, la question qui suit la remarque qu'on me fait souvent.
La remarque, c'est une variation sur le constat que "oui mais si l'homme de ta vie se pointe sous ton nez tu ne le verras même pas, absorbée que tu es par un truc impossible".
J'aurais tendance à dire que si je ne suis pas dans un état émotionnel qui me fait remarquer ce type forcément exceptionnel, alors peut-être que ça n'est pas l'homme de ma vie. Voire, que cette notion magiquement conçue comme une réponse à tout ce qu'on attend des femmes n'existe pas forcément, ou en tout cas que ça n'est pas si simple que ça. Je me retiens souvent de répondre que "oui mais toi qui vis avec quelqu'un, si ça se trouve, la personne qui est parfaite pour toi tu ne la verras pas, simplement parce que celle qui est imparfaite t'offre des choses qui te rendent heureuse" (oui, ce sont exclusivement des femmes qui m'ont fait cette remarque. Les hommes, eux, ricanent, devant ce veinard couvert d'amour de toute part et qui n'est pas eux.)
La vraie vie, c'est que ce ne sont pas des choses qu'on décrète, qu'on décide. Il n'y a pas de bouton sur lequel appuyer.
Le pendant, c'est qu'on me décrit ma vie comme si j'étais prisonnière d'un sentiment et d'une personne qui me figent et m'enferment.
Alors d'une part j'ai plutôt l'impression de vivre, et encore assez librement, merci. Je reçois des choses importantes pour moi, de lui, d'autres et même de moi qui me font du bien. Alors oui, ça ne rentre pas dans les cases, mais ça ne veut pas dire que je donne tout et ne reçois rien. Et surtout, je ne suis pas une femme sous l'emprise d'un démon maléfique autant que toxique.
D'autre part je ne subis pas. Je suis libre, entièrement, de continuer ou pas, de vivre d'autres choses ou pas, il n'y a aucune promesse qui nous lie.
Si demain un mec un peu moins con que la moyenne se proposait de coller sa peau à la mienne, je pourrais, sans me sentir tenue, sans trahir personne, envisager de répondre positivement à ses envies. Il se trouve qu'il n'y a pas de candidat déclaré.
Retour au point Murakami. Là, tout de suite, je ne suis pas sûre d'être capable d'avoir envie, avec ce non-candidat, d'autres choses que de galipettes, d'un peu de tendresse et de complicité, et je ne suis pas capable de faire la moindre promesse sur le si et quand je pourrais être au monde sans cette place secrète. Peut-être que ça viendra facilement. Peut-être jamais. Voilà tout ce que je peux dire, aujourd'hui, il y a quelqu'un dans mon coeur avec qui il ne se passe rien, mais ça n'est pas rien.
Si c'est une meuf à présenter à ses parents, ses enfants, ses amis et avec qui faire des projets très vite que cherche le non-candidat sus-nommé... ce n'est pas moi, pas maintenant. Je ne crois pas que ça soit exclusivement lié au fait d'avoir le cœur occupé ailleurs, du reste. J'ai déjà donné, ça a été beaucoup de compromis (par moi) et assez peu de bonheur en face. J'ai plus envie d'ombres et de cachettes, de bulle à deux, que de plans sur la comète et d'environnements compliqués. Deal with it. Je ne vois pas en quoi ça devrait intéresser quiconque d'autre que moi d'avoir un avis sur le sujet. Ca changera, ou pas.
Enfin me connaissant, j'ai une vague idée, comme je disais à Luce l'autre jour qui me disait que l'amour platonique n'est pas facile : "Bah. C'est juste les 20 ou 25 prochaines années qui vont être un peu compliquées." (Ca l'a fait rire et j'aime faire rire Luce, merci de rire avec elle et de ne pas vous agacer de mes pitreries.)
Mais même me connaissant, je n'en sais rien, au fond, et je ne vois pas l'intérêt de chercher à deviner l'avenir. Aucun de nous n'en a la capacité alors pourquoi s'épuiser en "si", ou "quand" et en tentatives vaines d'esquiver la moindre douleur ?
Et non, je n'idéalise pas ce type qui a le mauvais goût d'aimer quelqu'un d'autre et je ne me projette pas dans un fantasme de perfection au lieu de me contenter de la réalité. C'est juste que je ne vois pas l'intérêt de maudire des défauts (les siens, les miens) qui n'ont aucun impact sur nos vies. Ou si peu. Ca n'a rien à voir avec imaginer des choses qui n'existent pas et tout à voir avec avoir la pensée de l'autre souvent là. Sans présumer ce qu'il dirait ou ferait s'il était vraiment là. Juste penser à lui, et parfois le lui laisser savoir. Souvent, se trouver en phase. Et oui, parfois ça fait mal, de ne pas donner à cet amour toutes ses dimensions. Alors que le mec idéal, lui, ne fait jamais mal. Contrairement au mec domestique, aussi, non ? CQFD.
Je n'en suis pas encore au point du livre où je découvre que Murakami a aussi une formule qui rend tout ceci limpide. Ou comment tout ceci se termine. Mais j'ai mon idée : mal. Spoiler, on meurt tous à la fin.
Et n'allez pas croire que ça ne me touche pas, la sollicitude des gens qui m'aiment à ne pas vouloir que je souffre. je les aime de m'aimer ainsi, de vouloir me protéger.
Disons que j'ai plus confiance en ma capacité à gérer le dur qu'en la possibilité de contrôler les émotions pour se prémunir de la souffrance.
Note
[1] Ce titre !!
Je trouve ça extrêmement juste :
“Disons que j'ai plus confiance en ma capacité à gérer le dur qu'en la possibilité de contrôler les émotions pour se prémunir de la souffrance.”
« Alors oui, ça ne rentre pas dans les cases (…) » > OSEF, l’amour c’est pas dans les cases que ça doit rentrer… 😏
Anna merci ♥️
Orpheus d'où le recrutement potentiel d'un amant, parce que bon. Là y a rien qui rentre dans rien !
Approved ! 👍
Orpheus I'll keep you posted.
Oui.
(Quoi ? J'ai rien d'autre à ajouter)
Minka je rêve de passer du temps avec toi et une théière pleine et de t'entendre réagir ♥️
Ha j'adorerais !