L'autre jour on m'a offert un livre.

Sur la 4e de couverture, cette phrase : "Chronique de la vie et de la survie de ceux qui vivent en marge de l'Amérique blanche et chrétienne, l'Epicerie du Paradis sur Terre nous rappelle que même dans les pires moments, il est possible de compter sur la force de l'amour."

Je suis une fille facile sur ce genre de promesses, je suis tombée dans le panneau immédiatement.

Comme quoi on apprend jamais rien de rien.

Parce que les hommes que j'ai aimés, ils ont deux points communs ; moi et le fait de ne pas avoir pu/su/voulu m'aimer comme je leur proposais.

Pourtant ils ont aimé le reflet d'eux que je leur tendais par mon regard, la douceur presque inépuisable que j'avais pour leurs vulnérabilités, la moquerie amoureuse que j'offrais à leurs forces. Ils ont pris, beaucoup. Même ceux avec qui je n'ai pas vécu d'histoire d'amour telle qu'on les attend.

Et donné... autre chose. On va dire que nos façons d'aimer n'étaient pas compatibles. Certains m'ont vidée de ce que je pouvais avoir à donner. D'autres ont suggéré (fortement) que je serais mieux, autrement. Aucun, je crois, ne m'a vue, vraiment.

Il doit y avoir quelque chose en moi d'inéligible à l'amour d'autrui.

Peut-être que c'est cette façon de regarder derrière les carapaces, d'aller débusquer la personne derrière, peut-être que c'est bon et douloureux à la fois ? Peut-être que j'espère des choses que les hommes ne sont pas prêts à donner ?

De toute façon, c'est moi, je ne vais pas changer ça, d'une part ça m'est impossible et d'autre part je ne vais pas changer parce je ne suis, littéralement, pas aimable en l'état. A quoi bon ?

Et puis il existe, cet amour, j'en suis sûre, puisque je suis capable de le ressentir. Ce mouvement de deux âmes qui se touchent et qui illuminent tout le reste. Au delà de la chimie, du désir, quelque chose de l'ordre d'une connexion plus qu'extraordinaire. Au sens premier.

Mais quand même, arriver à mi-vie, non, je me vante plutôt du côté des deux-tiers et se dire que bon. On est rangée des bagnoles, là. C'est fini, tout ça. Ca donne un goût amer à toutes les promesse de l'amour fort qui sauve de tout. Et quand t'en as pas, tu fais quoi ? Tu crèves la bouche ouverte ?

Heureusement que je suis bonne fille et que je me laisse embarquer par la fiction. C'est un bon choix, d'ailleurs, ce bouquin est virevoltant, vivant, trépidant, comme un air de jazz - ça n'est pas un hasard. Il est bon de se chauffer l'âme aux côtés de Moshe, Chona et ceux que je n'ai pas encore rencontrés.

L'homme que j'aime au présent, chanceux qu'il est, on a pas besoin d'avoir cette conversation qui finirait en "je ne veux / peux / sais pas". On en a d'autres, au cours desquelles il m'arrive de l'entendre dire des choses que j'ai pensées. Pas de la haute pensée philosophique impossible à atteindre mais pas non plus "il fait beau". Des choses que je n'ai entendu personne d'autre que moi dire ou penser.

La dernière fois que je l'ai vu, il y a eu un moment en particulier, j'ai été prise dans un tel flot d'amour et de tendresse, déclenché par un truc parfaitement non lié à une quelconque tentative de séduction de sa part, j'en ai pensé "fais gaffe, meuf, tu vas le noyer". Pendant quelques minutes j'étais là, à tenter non pas de contenir le flot, mission impossible, mais lui trouver des endroits par où s'échapper. C'était puissant et beau et pas du tout facilitant du point de vue "pas d'attentes, pas d'espoir".

Je ne sais pas s'il a perçu quoi que ce soit, de son côté, à part peut-être "elle en fait une drôle de tête, pourvu qu'elle ne me vomisse pas dessus".

Tout ça pour dire que je ne sais pas à quel point c'est tenable, un tiers de vie, peut-être un peu plus, peut-être beaucoup moins, à être parfaitement capable d'aimer et même un peu trop, mais inéligible à recevoir. C'est comme les copains qui attendent la fibre dans leurs coins de paradis. Ca approche toujours mais ça n'arrive pas à leur adresse.

Peut-être que c'est ça, la seule chose qui rende l'idée supportable. Se réfugier dans l'amour inventé ?

J'ai un truc chiant à faire mais dès que possible, je vais me replonger dans L'épicerie du Paradis sur Terre.