Confession extrêmement honteuse, vers 15 ans j'ai eu un crush pour Alexandre Jardin et ses premiers romans. C'est à peine avouable, je sais, mais je n'avais rien, ou si peu, vécu et ses postures définitives sur la passion perpétuelle semblaient tellement séduisantes.

Je jette régulièrement un coup d'oeil torve vers le coin des étagères où ses œuvres prennent la poussière. Un jour je ferai une pile à déposer à la boîte à livres, pour le moment, à 98 % par flemme et 2 % de nostalgie pour la petite conne péremptoire que j'étais, ils sont toujours là.

Quoi qu'il en soit, le temps a passé et je ne me suis jamais séparée d'un homme à cause de l'usure du temps ou de la routine. Comme quoi, la littérature (tousse) n'a pas toujours raison. Ou/et alors, je suis douée pour fabriquer de l'intimité avec quelqu'un, tisser un univers commun dans lequel la douceur d'être est largement supérieure à l'habitude de l'autre. Sans me vanter, c'est assez vrai.

Non, ce sont des grandes trahisons, qui ont été à l'origine de ces ruptures. Alors peut-être que si on avait vécu ensemble encore deux ou trois fois plus longtemps, je me serais rendu compte que je m'emmerdais depuis longtemps. On ne saura jamais. Et puis il y a tout ce qu'on se fait croire qui se mélange à tout ce qu'on sent vraiment, quel bordel. Mais quand même, le temps, quand il n'est plus celui de la découverte, ne me fait pas peur.

On m'a parlé, depuis quelques mois, du plaisir d'avoir un crush pour la seule joie de penser à quelqu'un. D'être en permanence dans le plus joli de l'état amoureux. Mouais.

J'ai des souvenirs, figurez-vous. Je me souviens aussi de l'euphorie du premier baiser, du bonheur à se prendre la main, à s'explorer. A s'installer dans une bulle à deux qu'on étend et qu'on décore au fur et à mesure du temps. J'ai aimé ça, tellement, que j'ai un peu de mal à me dire que c'est le meilleur, dont je profite.

On est pas dans un roman d'Alexandre Fucking Garden.

A l'exact opposé de cette certitude d'aimer qui j'aime pour de vrai et pas "en fantasme qu'on ne pourrait confronter à la réalité sans sombrer aussitôt dans le dégoût", l'an dernier, j'étais éclatée façon puzzle, aux quatre coins de ma galaxie intérieure.

Le coeur palpitant d'envies, la tête emplie de raisons pour ne pas y croire. Et surtout : pleine d'incertitudes sur ce qui pouvait bien se passer vraiment, si je percevais de travers ou s'il y avait quelque chose dans l'air, pour de vrai.

Dans le genre fiction, c'était plus près d'Orange mécanique, dans ma tête. Les yeux écarquillés sur la réalité. La violence brutale sur les espoirs. Tu as aimé cette phalange qui a frôlé la tienne, une seconde ? Tiens, un coup de masse dessus, la douleur te fera oublier la douceur. Tu imagines deux secondes que ce que tu perçois soit vraiment vrai ? Une mandale dans tes rêveries, ça te remettra les idées en place.

Je ne dis pas que c'était la meilleure façon de gérer, mais je vous rappelle que j'étais déjà dans plusieurs tsunamis simultanés et en grave déficit de sommeil, alors je suis allée là où je pouvais, comme je pouvais.

Curieusement, j'en suis sortie beaucoup plus au clair avec ma bavarde. Capable de prendre ce qui vient. De moins me torturer, d'être plus sereine sur un tas de choses.

Depuis je surfe sur le fait que c'est l'attente qui rend malheureux. Mes émotions sont les miennes et je ne peux pas y changer grand chose, mais je peux essayer de ne pas confondre rêve et réalité. Je peux prendre ce qu'on m'offre en tant que tel en essayant de moins penser à ce qui pourrait être, si la vie se comportait selon mon bon désir.

C'est une sorte de bullshit monstrueux entre moi et moi, qui a le mérite d'environ fonctionner, la plupart du temps (et oui, il y a aussi des jours de gros malheurs, d'intense frustration. Il y a des moments de grâce où ce que m'apporte celle histoire est presque vertigineux (dans le bon sens) et d'autres où je dois me faire un peu mal parce que hey. Décolle pas trop haut, meuf, plus dure sera la chute. Alors je ressors l'attirail de torture et je fixe la réalité dans ses faits les plus cruels dans les yeux.

Ici et là on me demande si c'est raisonnable de tout attendre d'un homme et si je ne pourrais pas garder l'amour platonique pour celui-là et d'autres choses avec un autre. Voire remplacer le 5 étoiles par deux de trois.

A vrai dire, je n'ai fait que ça, de ma vie amoureuse. Savoir que celui avec qui la partager était assez loin de répondre à tout, mais qu'il daignait m'aimer alors bon, suivons le mouvement. "Me contenter" de relations dont il était facile de dire à l'avance qu'elles auraient une date de fin. Alors, là où la raison vient aux autres, je ne veux plus transiger, et tant pis, j'ai donné, dans les histoires boiteuses. Ca ne sert à rien qu'à rendre trop de gens malheureux. Alors bon. Un peu rien à faire des trois étoiles et de la séparation du corps et du coeur.

Ca ne plait pas beaucoup, ça n'est pas très compréhensible et je m'en fous d'une force...

Malgré les envies qui m'assaillent, l'envie de tendresse physique qui vient en renfort de celle des mots, l'envie tout court, l'envie de briser la malédiction du dernier premier baiser en date qui n'était pas à la hauteur (j'ai raconté ça, déjà, non ?), l'envie de partage, de complicité au grand jour... Même si parfois je suis (très) tentée de lui demander s'il est au courant de ce qu'il me fait et de ce que ça engendre (j'ai mon idée)... même s'il m'arrive d'avoir envie d'arrêter de jouer avec les non-dits, les demi-mots et l'implicite... je ne saurai faire autrement que de vivre ce qu'il y a à vivre, même s'il n'existe pas de mots pour ça.

Il y a probablement de la place entre Alexandre Fucking Garden et Orange Mécanique.