La vague m'a déposé sur le sable, un peu secouée, un peu heureuse, un peu perdue, un peu vaincue.

Je m'ébroue, je fais une place au vide, à la tristesse de ne plus être portée par elle ; elle n'est plus, elle a rejoint le grand-tout océan et n'existera plus jamais exactement sous la même forme.

Je ne sais pas s'il y en aura une prochaine pour moi. Je ne sais même pas si je devrais me le souhaiter ou pas (la question de l'envie, elle, n'a pas besoin d'être posée).

Au-delà de cette vague là, et de cet océan précis, je me fais l'impression d'être un phare, planqué en pleine vue, isolé. Il y a plein de gens pour aimer les phares, parce qu'ils évoquent la sécurité, le retour à un endroit calme, la lumière. On les trouve indispensables mais personne ou presque ne voudrait être gardien de phare, c'est un métier qui ne fait pas rêver.

Alors me voilà, phare sans gardien, entourée par des vagues qui ne devraient pas m'effleurer.

Certains ont salué mon caractère précieux, un mec a essayé de m'utiliser comme lampe de bureau, l'autre en a pillé les ressources sans se demander comment ça devrait fonctionner.

J'ai vu approcher un type qui aurait bien des qualités requises pour être gardien de phare. Il en comprend intuitivement le fonctionnement, sait d'instinct les choses importantes à savoir, je crois qu'il entend les autres. Mais il a une toute autre façon d'occuper sa vie. Alors il est près et loin. Vague et reflux. Sans prétendre connaître ses pensées, qui sont siennes, parfois j'ai l'impression qu'il croit que tant qu'il n'est pas entré[1] dans le phare, qu'il se contente de tourner autour, alors tout va bien, rien n'est grave. Je le comprends, il y a des tas de moments dans ma vie, quand j'ai rencontré des trucs pas du tout prévus dans ma cartographie, j'ai eu des systèmes de pensée bizarres et qui ont duré très longtemps. J'ai repoussé en bloc, rationnalisé l'irrationnel, refusé d'admettre l'évidence, fait des choix qui étaient les miens, bons, mauvais, ça n'a aucune importance, préservé le connu à tout prix, pas toujours vu ce que ça faisait aux autres, refusé de sacrifier quoi que ce soit, été pétrifiée à l'idée de faire mal à des gens que j'aime, l'ai fait quand même. Et le fait que, finalement, je sois allée explorer l'inattendu ne dit rien sur quiconque d'autre. Chacun sa route, chacun son chemin. Sa route est tracée, son chemin joli, il n'a rien à gagner à devenir gardien de phare. Et rien ne dit que je ne me plante pas complètement d'impression. Et puis, j'aime sentir ses vagues autour de moi, quel qu'il soit, son chemin.

Bref. Je suis le phare, qu'on est heureux de voir d'un peu loin mais dont on n'approche pas, de peur de s'échouer, de sombrer ?

Depuis quelques heures, ça n'est pas la vague d'un autre qui me porte, c'est ma vague de tristesse qui traverse. Elle sera loin dans quelques heures, quelques jours. Le temps de reprendre du souffle, d'oublier cette impression d'être passée très près de quelque chose de grand.

On s'en fout de la destination, dirait l'autre, ce qui compte c'est le chemin.

Le mien n'est pas facile, mais il est riche et beau et parfois triste, c'est comme ça.

Depuis quand les phares pleurent-ils, de toute façon ?

Un tout petit phare à l'entrée d'un port privé, sur ma plage, celle où je rêve tous les étés depuis ma naissance, celle où je me trempe dans une eau accueillante et joue dans des vagues qui n'ont aucun pouvoir de tristesse.

Il y a deux chansons qui sont entrées en collision avec l'écriture de ce billet, une qui date de mon année de naissance, je crois, est connue de tous, je ne suis pas sûre, même, de l'aimer, et à laquelle je n'avais pas pensé depuis des décennies mais qui squatte ma tête depuis deux jours. L'autre qui est toute neuve et dont la notif qui annonçait sa disponibilité m'a fait ricaner devant l'ironie du sort.

Vous aurez donc les deux, pauvres de vous.

Note

[1] Et à ce stade j'entends la voix de Matoo dans ma tête me dire en riant "Sacrip'Anne tu es une COCHONNE !!!". Riez avec moi, la vie est assez triste et effrayante pour prendre le temps d'un rire, même jaune, même noir.