Parfois, quand on parle des battements de mon coeur, S. me dit tu l'idéalises, tu le mets sur un piédestal. Je vois bien de quoi elle me met en garde, mais ce qu'elle sait très bien, par ailleurs, c'est que j'aime, chez ceux que j'aime, leurs nœuds et complexités autant que leurs qualités évidentes. D'elle, par exemple, j'aime la sensibilité encore plus forte que la mienne, ses doutes et questionnements. Ils me disent d'elle des choses importantes, des zones sensibles, des endroits où parfois je peux poser un souffle apaisant.
Chez mes préférés, il y a des façons d'être qui pourraient m'être horripilantes, chez n'importe qui d'autre, mais qui les rend absolument eux et que, chez eux, j'aime par dessus tout. Qui me parlent de leurs blessures, de leurs errances, des routes empruntées, des découvertes triomphales et des chutes vertigineuses.
Alors bien sûr, quand il faut vivre avec, ça peut prendre de la place, mettons que c'est un pari, d'espérer que l'on serait, chacun, capable d'être à la fois totalement soi et de faire gaffe à l'autre.
Et puis, j'aime prendre soin de qui m'est cher, aussi. J'aime la réalité des gens encore plus que leur image.
Alors, s'il était d'actualité de penser à ce que pourrait, pour de vrai, chez lui, me faire fracasser le sol, tombée de très haut ? Non, je ne serais pas démesurément inquiète.
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Parfois on a peur pour moi, du mal que je vais me faire. Comme si on pouvait choisir avec qui on se met à danser une danse étrange et captivante, lente, parfois grâcieuse, parfois vertigineuse, parfois maladroite. Comme si on pouvait décider qui nous captive. Comme si on pouvait redéfinir les lois de l'attraction.
Je vais vous dire un secret : pas d'attentes ne veut pas dire pas de rêves. Ca veut dire garder ses rêves à leur place, ne pas fonder la suite de sa vie sur des espoirs.
Bien sûr, il m'arrive (prenons là un air détaché, nonchalant, qui ne trompe personne) de rêver qu'il se pose la question de ma place dans sa vie. C'est un rêve terrible parce qu'il dit quelque chose de douloureux. Déjà questionner, même un fragment de seconde, ce qu'on a construit et qui nous rend heureux et regarder en face l'idée que tout ceci n'est peut-être plus complètement suffisant n'est pas anodin. Rares sont ceux qui ont le courage de remettre en cause un grand morceau de leur vie, à supposer que la question leur semble valoir d'être posée.
Il dit aussi qu'il n'y a pas de chemin qui ne fasse souffrir personne. Il n'y a pas de happy endings fabuleux sans ombre au tableau, il n'y a pas de joie sans douleur.
Il raconte, enfin, la peur ; se lancer dans le vide, puis quoi ? Et si on s'est trompé ? Si on fout tout en l'air pour un truc qui ne tient pas ses promesses ?
Je ne suis pas sûre, quand je rêve comme ça, d'avoir la place la plus difficile de l'histoire.
J'en ai vécu de ces phases de questionnements. De ces déchirements où on sait qu'on ne trouvera la paix que dans l'acceptation de n'avoir pas été la personne qu'on veut être. Je me suis dit : "ok je reste, mais c'est une trahison de moi à moi". Je me suis dit "ok, je pars. Et j'apprends à vivre avec la douleur que j'ai infligée".
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Ma vérité à moi est qu'il y a des choses qu'on doit vivre, personne ne peut faire de promesses, dire que ça durera jusqu'à la mort et que chaque instant sera inoubliable. Mais des choses auxquelles on ne peut pas échapper. Quoi qu'on risque. Même si on sait qu'on va avoir mal.
C'est pour ça que je suis là, à marcher en équilibre entre raison et rêves, en prenant ce qui existe avec reconnaissance et sans aucun pari sur l'avenir.
Ca n'a rien d'universel. C'est ma vie, ma façon de la vivre. C'est comme ça.
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Il y a une scène d'une incroyable beauté dans "Parthenope" de Paolo Sorrentino. Avec cette chanson. J'ai pleuré, sans sanglots, sans spasmes, juste des larmes qui coulent en continu des yeux au cou, de la première à la dernière seconde. Le fait de comprendre un peu d'italien et de savoir ce qu'il racontait n'aidait pas tellement. En sortant du ciné j'ai regardé l'appli qui me dit quelle musique m'entoure, j'ai pensé "Oh putain, Anne, Cocciante, c'est pas ton monde, ça", sauf que je la réécoute souvent depuis. Ce mec qui bascule pour une femme, en sachant déjà qu'il risque d'en avoir mal à en avoir envie de crever, il fait partie de ma tribu. Des fous, des inconscients, des têtes brûlées du cœur et de l'âme, de ceux qui savent qu'ils ont, à un moment, rendez-vous avec eux-mêmes. Pour certains d'entre nous, ça marchera. Pour les autres, personne ne pourra leur enlever ce qu'ils ont ressenti, vécu. C'est tout.
Par une sorte de clin d'œil karmique, elle m'est revenue dès les premières lueurs de l'aube, ce matin.
Merci - "ces déchirements où on sait qu'on ne trouvera la paix que dans l'acceptation de n'avoir pas été la personne qu'on veut être" : ça résonne aussi en moi !
Idéalisation ou extrême indulgence pour les défauts… peu importe, heureusement que ça existe. Sans cela on ne pourrait vivre avec personne. Même pas avec soi-même…
On perd toujours des plumes dans la vie. Mais savoir qu’on les a perdu parce qu’on a été fidèle à soi rend la perte un poil moins douloureuse.
« Ca n'a rien d'universel. C'est ma vie, ma façon de la vivre. C'est comme ça. » > Faut jamais contrarier des engrenages de tourner comme ils le font naturellement.
"Il raconte, enfin, la peur ; se lancer dans le vide, puis quoi ?"
Quand j'ai rencontré François j'ai commencé par avoir très peur et dans ces peurs il y a avait notre différence d'age et la peur qu'il parte bien avant moi. J'ai dit ça à une psy qui m' a dit : "Vous avez raison, c'est tout à fait possible, sachant cela, pouvez-vous décider de ne pas vivre cette histoire ?" J'ai répondu très vite "Non!". Ça a réglé le problème de ma peur. J'ai vécu cette histoire, il est mort bien avant moi, mais jamais, tu t'en doutes, je n'ai regretté de l'avoir vécu.
Je crois que la clé dans ce que tu dis c'est la lucidité sur soi, ne pas se mentir à soi-même, vivre en conscience ce qui a à se vivre. C'est la meilleure protection contre ce qui peut être un jour fera mal car ça évite au moins de s'en vouloir en se disant "qu'est ce que j'ai été con" et c'est pas si simple ;-)
FrédéricLNmerci
Orpheus la S. en question, qui aime généralement beaucoup tes commentaires, n'a pas beaucoup d'indulgence poir elle-même. Puissent tes mots lui offrir quelque chose qui lui ferait du bien.
Quant aux engrenages, quelle belle image !
Alana exactement, vive en conscience. Mais c'est finalement peu fréquent. Je ne crois pas qu'il y ait de grandes histoires d'amour qui ne foutent pas la (t) rouille, au début.
« Je ne crois pas qu'il y ait de grandes histoires d'amour qui ne foutent pas la rouille, au début. »
La rouille, c’est généralement plus tard dans les histoires d’amour…
Au delà de sa poésie, cette typo m’a beaucoup fait rire. 😂
Je n'ose pas mettre un commentaire inutile a ce texte magnifique .
Bon c'est ce que je viens de faire 🫥
Orpheus je l'ai semi corrigée en ton honneur ! Et pour ne pas ruiner ce commentaire !
Ln merci beaucoup.