Je sais que ça fait hausser les sourcils de plein de gens, cette histoire qui n'entre pas dans les cases.

Mais, que voulez-vous, je ne comprends même pas les notions de mettre ses sentiments de côté ou les minimiser ou les ignorer. Ça a l'air formidablement pratique, sur le papier, dès qu'un truc t'écorche un peu, pouf, tu pousses de côté et c'est fini.

À se demander comment l'humanité n'est pas plus heureuse.

Mais comprendre un peu ce que je traverse, c'est aussi vouloir accéder à une chose perdue de nos jours : la nuance. Ça n'est pas noir et blanc qui s'opposent. C'est un tissu chatoyant, riche de couleurs entremêlées. Je lis un livre ces heures-ci qui évoque des couleurs qui ne portent même pas de nom, parce qu'elles ne peuvent pas toutes en avoir, c'est exactement ça.

Il y a tout ce qui est, factuellement, une chance qui tient du miracle. Des moments de grâce qui semblent peut-être tout petits à l'échelle de l'infiniment grand, mais qui sont immenses dans ma vie à moi. Des échanges pour rire, pour nourrir, une façon de se comprendre, des cadeaux qui visent juste, matériels ou pas, une sorte d'intensité partagée qui n'écrase pas l'autre mais inclut, invite. Une façon d'être chez soi dans un territoire inconnu. C'est magnifique, en soi. Ça se suffit, dans l'absolu.

Ce qui existe, entre nous deux, me nourrit d'un matériau qui me connecte à moi, qui éclaircit mon rapport au monde. Rien qui ne soit dicté, demandé, imposé. Mais on partage quelque chose que je ne partage avec personne d'autre et le fait de ne plus me sentir seule au monde, dans ce regard sur la vie et ce dont j'ai besoin pour lui donner du sens. Pas lui, strictement, mais le fait d'avoir une similarité probablement assez forte dans des choses qui nous sont importantes.

Et oui, dans le même temps, il y a le manque de ce qui pourrait peut-être exister - et n'est pas. Ou incomplètement. Et moi, avec mes cicatrices, mes pudeurs, ma peur du rejet, mon peu d'envie que ça s'arrête, pour ne pas aider, je ne lui dis pas, que ça n'est pas facile tout le temps. Que la montée des vagues est spectaculairement belle et me laisse simultanément très heureuse et douloureuse.

Parce que je sais depuis toujours qu'il n'y a pas cette place pour moi dans sa vie. Et que c'est aussi simple que ça.

Parce que je ne sais pas dire quand ça ne va pas, pas très bien. Je sais l'écrire, ici, là, mais pas le dire, les yeux dans les yeux.

Peut-être parce que je n'ai pas encore absolument confiance en sa capacité à entendre les mots justes sans les gâcher par un mouvement défensif. Oui, il porte le poids de blessures anciennes qui ne sont pas de son fait. C'est comme ça.

S'il n'y a pas de réponse c'est qu'il n'y a pas de question, diraient les Shadoks.

Toits et cheminées parisiens dans un matin à lumière grise.

Alors voilà.

Je m'en fous que ça ne soit pas très intelligible pour le monde.

Je n'ai aucun problème à être un assemblage bizarre composé de choses parfois contradictoires. Je ne suis pas faite comme ça. Et ça ne me fait pas spécialement envie de l'être, bien rangée.

Je savoure et parfois je doute. Je bute contre des interrogations quantiques auxquelles personne n'a de réponses.

Je sais que les réponses qui entrent dans les cases n'ont pas cours dans les histoires qui ne le peuvent pas.

Je suis souvent perdue, mais en me perdant, je me suis trouvée.

Je sais que si je m'éloigne, je retourne dans une forme de solitude existentielle où je suis moins, depuis lui. Dans tous les cas, je perds, en somme, aux yeux de ceux qui raisonnent entre souffrir et ne pas souffrir.