L'ami Matoo parlait, l'autre jour, d'aimer, mais aussi de la solitude. Alors on s'est fait un clin d'œil dans les commentaires et, depuis, ce billet s'écrit dans ma tête.
Il faut sans doute que je commence par lever le malentendu qui plane sur moi. Parce que je suis bavarde (volubile, ©Padawan) et que j'ai appris à imiter les codes sociaux dans un certain nombre de situations, on me pense sociable et extravertie. C'est faux, en partie, évidemment, une fois de plus, c'est compliqué. Oui il arrive que j'aille puiser de l'énergie dans la présence des autres, mais, le plus souvent, je préfère l'ombre, la solitude, le fil de mes pensées intérieures. J'ai grandi enfant seule, pendant les 5 premières années de ma vie ou quasi, années pendant lesquelles j'ai, apprentissage miraculeux, découvert la lecture et, depuis, les livres sont mes amis les plus proches (et les plus vaches, souvent, aussi). La musique. Je sors souvent seule, ou seule dans la foule, j'aime exclusivement les petits comités et la surcharge sociale m'épuise.
Alors bien sûr, je sais fais quand il faut faire, ou quand je sais que je vais y trouver quelque chose de bien.
Mais la solitude est une très vieille amie qui ne m'effraie pas.
En tant que concept global.
Sauf qu'il n'y a pas une solitude.
Il y a la solitude domestique, celle qui fait qu'on doit tout prendre en charge sans exception, même quand on n'a pas envie. Personne pour dire "je m'en occupe". Celle-ci est agaçante, fatigante, souvent. Il y a quelques jours mon sèche-linge s'est mis à sentir le cramé, s'est arrêté et mis à clignoter de tous ses boutons. Grand soupir (mais léger soulagement, le 13e mois tombe dans quelques jours. Certes je préfère me couvrir d'auto cadeaux, vu qu'il n'y a plus que mes parents pour me faire un cadeau à Noël, alors je me charge des autres, mais quand même : pas la merde intégrale. Petit plaisir de privilégiée, même si je suis le prolétariat des nantis). J'ai lu un peu les internets, conclu qu'il s'agissait probablement de peluches infiltrées, rempli un formulaire chez Murfy et sous-traité à un grand barbu râleur la remise en état de la machine. Joie de l'anticipation : je savais qu'il n'allait pas me demander ce qu'on bouffe ce soir ni se vanter de ses exploits pendant des années. Et très peu probablement aggraver la situation. De fait, le sèche-linge fonctionne à nouveau.
Meilleur deal de ma vie.
Autour de la vie logistique il y a la vie familiale. Ça n'est rien de dire qu'élever des enfants n'est pas chose aisée, les élever seule ou quasi ressemble à un manège à sensations sorti d'un cerveau pervers. Mais juste à l'idée de leurs pères dans mes pattes, je me dis que les très hauts compensent les bas (en fait, en ce moment, c'est plutôt le petit qui compense le grand mais on est à ça de l'adolescence, le prochain retournement de situation n'est pas loin.
Je crois qu'il y a aussi une forme de terreur de la solitude face à la mort et la maladie. Double sujet, commençons par le plus définitif. J'ai fait la paix avec lui ces derniers temps. Parce que, forcément, quand je dis que je ne crois pas que je vivrai un jour avec un homme, à nouveau, on me brandit la promesse de mon corps décomposé et semi bouffé par mes chats.
Il me semble qu'il est bien pire d'infliger à son survivant un réveil à côté d'un cadavre. Et le ou la laisser, à son tour, seul(e). Ou alors il faudrait mourir simultanément mais ça n'est pas si facile que ça. Et puis le deuil des enfants, bordel...
Par ailleurs je n'ai pas peur de ma propre mortalité. Je manque d'envie à l'idée d'une agonie lente et pénible, je redoute que le moment du passage soit douloureux, difficile. Mais l'idée de ne plus exister ? C'est la vie. Je mourrai donc comme je mourrai. Et c'est le cas de chacun d'entre nous. Certains auront la main de quelqu'un d'autre, amour, enfant, infirmière, pour tenir la leur. D'autre pas. Et ça ne changera strictement rien[1].
En ce qui concerne la maladie, j'ai eu l'occasion d'y songer récemment. A l'occasion d'une frayeur qui n'en valait pas la peine, mais le temps du doute, des "et si" et de comment il faudrait gérer dans le pire des cas, je me suis offert quelques jours de questionnements morbides. Il se trouve qu'il n'y a rien à gérer et que de ce côté, tout va bien, cette fois au moins. Et mon avis est directement lié aux besoins de mes enfants. Tant qu'ils ont encore besoin de moi, économiquement, pour grandir, oui, c'est sûr, je m'accrocherai à tout ce qu'il faut faire pour être là pour eux, sans discussion. Quand ils seront partis, installés dans leur vie ? Je n'en suis pas si sûre. Etant donné l'âge du cadet, ça nous laisse une probable quinzaine d'années devant nous, j'aurai alors 65 ans, ce qui n'est pas si vieux, mais... on verra. Je crains de tenir un peu de mon grand-père, de ce côté là.
Pas tellement la peine de s'angoisser à l'avance non plus, ça ne fait que doubler (et plus si affinités) le temps de l'angoisse.
Voilà. Un petit millier de mots pour inventorier tout un tas de solitudes mais pas celle qui passionne les foules. Mous y venons.
Il se trouve que j'ai reçu une newsletter il y a quelques jours qui parlait, entre autres, du taux de célibat en France. Un tiers de la population le serait, une bonne partie heureuse de l'être. Je n'ai pas lu l'étude mais j'ai lu le texte qui accompagnait ces chiffres, ça sera de la faute à l'individualisme galopant, dites donc. On ne voudrait plus (les femmes surtout) s'infliger la contrainte de la vie avec un autre. Ce chiffre "traduit un niveau d’exigence démesuré".
Je me demande bien pourquoi dis donc ? Qui aurait pensé ? Enfin je veux dire : vous avez déjà vécu avec un mec, vous ? Il vous est arrivé d'en parler comme d'un enfant pas très dégourdi ? Alors qu'on vous avait vendu sérénité et prince Charmant depuis votre premier dessin animé jusqu'à votre dernière rom-com ? Bon. Je me demande s'il n'y aurait pas un lien, figurez-vous.
"Et parmi les conséquences plus que concrètes, une pression accrue sur le marché de l’immobilier." Enfoirés de célibataires. Surtout les vieilles meufs, qui se gavent sur la pension de réversion de leur défunt époux, car c'est bien connu le célibat des femmes n'est pas du tout corrélé à la précarité.
(Pardon, je fais une mini pause, maintenant que j'ai copié les sources, je me désabonne de ce torche-balle.)
La solitude amoureuse, donc. Oui, malgré ce qui précède, je la connais.
Je me sens seule de quelque chose que je n'ai jamais connu.
J'ai toujours espéré, par Bovarysme[2] sans doute, qu'un jour je trouverai quelqu'un avec qui "qui je suis" prendrait son sens grâce à "qui il est". Quelqu'un avec qui il y aurait cette effervescence, ces rebonds, ces résonnances, cette façon de transformer les pensées sérieuses comme les blagues en une sorte de danse à deux. Une personne avec qui on s'ouvre des portes, des fenêtres, on explore des zones ombragées de nos âmes respectives ainsi que du monde autour de nous, sans en être jamais lassés, avec qui grandir du dedans serait une façon aussi individuelle que partagée d'être présents au monde.
Alors certes, ça veut dire un homme[3] qui aimerait mon regard au fond de lui, , et qui ne fuit pas quand il voit que je le vois, parce que moi, ce que je regarde, ce sont les couleurs et formes de son âme, aussi loin que possible, pas sa plus ou moins grande réussite, son compte en banque ou je ne sais quel autre signe extérieur de bonne place dans l'ordre du monde.
Je ne vais surprendre personne en disant que très rares sont ceux qui aiment être regardés comme ça. Et pas tout le temps, encore. Quand j'ai cru apercevoir ça, c'était un mirage, ou juste un morceau, enfin bref.
Oui de ce point de vue (irréaliste, je sais) je me sens infiniment seule.
Je ne parle même pas de peau à peau, de corps, d'attirance. Le désir est le problème le plus facile du monde à résoudre. Oh, hommes, que vous êtes facilement remplaçables pour cet office pour lequel vous vous croyez indispensables.
On va établir comme une quasi certitude, du même ordre que le fait qu'on ne gagne jamais au Loto, que cet individu miraculeux, par ailleurs bourré de défauts, sans doute autant que moi, ne se pointera jamais en bas de chez moi avec 5 slips, quelques tshirts et des chaussettes dans un tote-bag et six mille livres avec lui. De préférence : que je n'ai pas encore lus.
Et c'est fort dommage parce que, toute compliquée que j'ai l'air d'être, j'aurais eu de l'amour à l'infini à partager, je ne suis pas chiante à vivre et je cuisine plutôt bien.
Mais voilà, il n'existe pas, l'homme qui veut vraiment que je le regarde au fond de l'âme ; celui qui me donnerait envie, qui aurait envie, que chacun de nos mots soit un monde à découvrir, animés par une envie dévorante. Avec qui on puisse se dire l'amour en face et pas de biais.
Alors, autant apprivoiser la solitude et se souvenir qu'elle est, aussi, mon amie[4].
Notes
[1] Pour toujours plus de dézingage de moral le dimanche matin, n'hésitez pas, appelez moi. Enfin envoyez un message, je n'aime pas tellement le téléphone.
[2] Rapport à Emma Bovary et pas à José Bové.
[3] Oui Orpheus, je t'entends ricaner en disant "moi aussi j'aime la bite" !
[4] Rions un peu, de mon épopée médicale d'il y a quelques mois il y a ce rendez-vous chez le cardiologue que je dois prendre et fais traîner. Sans doute parce qu'en toute irrationnalité je suis persuadée qu'il va me dire "Mais madame, votre coeur est plus fendillé que l'écran du smartphone de mes enfants, un doigt posé dessus et tout s'effondre, vous êtes perdue, plus rien à faire."


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